Cela s'est passé à Guivry le 24 Janvier 1928
Journal Le Nouvelliste, janvier 1928
Obsèques de M. Luce Eugène Léopold, "dit" Alphonse, le plus ancien garde-champêtre
de France.
Aujourd’hui, ont eu lieu à Guivry, les obsèques de M. Luce
Alphonse, garde-champêtre de la commune depuis le mois de mars 1875,
c'est-à-dire depuis 53 ans sans interruption. Il était âgé de 83 ans, on peut
donc supposer qu’il est le plus vieux et le plus ancien garde-champêtre de
France.
Ce fut un fonctionnaire aussi modeste que dévoué. M. Luce
était d’autant plus aimé et vénéré qu’il était un vétéran de 1870, ayant
appartenu au 84° Régiment d’Infanterie comme caporal tambour. Il avait combattu
avec la grande armée de Metz, sous le commandement de Bazaine dont la défaite
nous valut la guerre de 1914. M. Luce aimait à raconter certains épisodes des
combats et des constants replis autour de Metz.
Il avait été fait prisonnier et avait beaucoup souffert,
pendant deux ans, dans le nord de l’Allemagne.
Il était très estimé de toute la population ; aussi ses
obsèques ont-elles eu lieu au milieu d’une affluence très nombreuse.
Avant l’absoute, M. l’Abbé Créteur, curé desservant de la
paroisse de Guivry prononça un adieu émouvant au vieux soldat.
Au cimetière, M. Achille Lequeux, Maire prononça au nom de
la commune, le discours suivant dont nous extrayons le passage suivant :
« Au nom du Conseil Municipal et de la commune entière,
je viens apporter un suprême hommage au modeste fonctionnaire dont nous
regrettons profondément la perte aujourd’hui. Luce Alphonse qui fut pendant 53
années consécutives un serviteur fidèle.
Les fonctions d’un garde-champêtre sont plus délicates qu’il
ne parait à première vue.
Il lui faut user avec un tact extrême de son autorité.
Il n’est pas le gendarme qui a le droit et le devoir de
verbaliser contre quiconque manque aux règlements ; c’est en quelque sorte
un père de famille qui réprimande avant que de punir.
Ce rôle de paternelle autorité Luce Alphonse sut le remplir,
et il était aimé de toute la population et savait s’inspirer une crainte faite
de respect.
Toujours prêt au premier appel, il exécutait les ordres de
son mieux.
Aussi l’administration communale perd en lui un bon et
fidèle serviteur et lui adresse toute sa reconnaissance et ses derniers
adieux. »
Puis M. Caqueret, secrétaire de la section des Anciens
Combattants retraça, en ces termes, la vie du vétéran de 1870 :
« La section des Anciens Combattants de Guivry, a
aujourd’hui le devoir de saluer et d’accompagner au champ du repos son vieux
camarade !
Combattant de 1870, il faisait partie de cette magnifique
armée du Maréchal Bazaine qui devait nous donner une victoire foudroyante, mais
qui, de par la volonté de son chef fut, au contraire inactive et entraîna la
défaite de presque toutes nos armées.
Comme tant d’autres soldats, Alphonse Luce, Caporal tambour
au 84° de ligne, fut emmené en captivité. Il souffrit de longs mois dans
l’Allemagne du nord, et à son retour, il eut encore la douleur de voir nos
régions sous la botte du vainqueur.
Mais le vieux soldat espérait toujours ; il savait,
avoir été trahi et non vaincu ! Aussi est-ce avec joie et fierté qu’il vit
à nouveau la victoire s’inscrire dans les plis de nos drapeaux. Il avait raison
d’être fier, car n’est-ce pas la surhumaine de 70-71 qui permit d’obtenir les
victorieux résultats de 1918 ?
Dormez en paix notre vieux camarade ! Que tous ceux et celles qui
vous pleurent, veuillent bien trouver une consolation dans notre présence à
tous ici. Nous garderons à jamais dans nos cœurs le souvenir ému et affectueux
que l’on doit à un aîné ! ».