Cela s'est passé à Guivry le 11 août 1917
Journal de guerre de Paul Pouillier :
« ...C’est de Guivry, un petit village de l’Aisne que je
vais recommencer mes notes. Certes, elles n’auront pas la même valeur qu’en
Orient. Ici ce ne sont plus les contrées lointaines, mais bien la vieille et
bonne terre de France, ce n’est plus l’exil, mais la Patrie. D’ailleurs le pays
est bien dissemblable avec celui de la Macédoine. Aucune comparaison ne peut
être faite. C’est les bras ouverts que la population nous reçoit. Elle est très
accueillante. Elle a tellement souffert pendant le séjour des Allemands. Ces
derniers, en partant ont tout dévasté. Pendant les derniers jours de leur
occupation, ils ont emmené jusqu’aux gouttières, que d’ailleurs ils ont
abandonnées à Flavy le Martel, je crois. Bien entendu, je ne veux point parler
de perquisitions. Chaque maison a été fouillée de fond en comble ; aucun
recoin n’a été oublié. Pour le pillage, ce sont des maîtres. De sorte que les
pauvres habitants manquaient de tout. Une fermière à qui les Allemands avaient
pris une quinzaine de vaches, me racontait que pendant l’hiver elle ne pouvait
s’éclairer, ainsi que les autres habitants, qu’à l’aide de bougies. Or la
quantité de cette dernière marchandise, fournie par le service du
ravitaillement américain, était d’une par mois. Pour s’en procurer d’autres,
ils étaient obligés d’aller se fournir à la cantine boche, quand encore cette
dernière voulait bien leur en livrer.
Mais heureusement, les boches sont partis brusquement de
sorte qu’ils n’ont pas eu le temps de commettre tous leurs méfaits habituels.
Bien des maisons sont encore debout. Ce sont celles dont les habitants sont
restés lors de l’occupation. Par contre, les autres ont été entièrement
brûlées. Je parle pour Guivry, car du côté de Villequier, il n’en est pas de
même. Le pays est entièrement dévasté. Si les Allemands n’ont pas touché aux
maisons, ils ont emporté tout ce qui était à leur convenance, c’est ainsi que
les animaux ont été emmenés : les matelas eux-mêmes n’ont pas été
épargnés. Les instruments agricoles, matériel de toute sorte ne pouvant êtres
transportés, furent placés dans un même endroit et rendus inutilisables. C’est
ainsi que les Allemands entendent la Kultur. Mais c’est la leur, il ne faut pas
s’y tromper. Quand aux différents endroits présentant des abris ou défenses,
tout fut sauté. C’est ainsi que les carrières proches du village furent
obstruées.
Dans les bois qui avoisinent Guivry s’élève maintenant un
observatoire dominant tous les environs jusqu’à Saint-Quentin, parait-il. Cet
observatoire construit par les Français peut plutôt servir comme souvenir
historique que comme moyen de guerre. Il est trop visible. Les Allemands
avaient été plus ingénieux. Ils se sont servis d’un arbre dans lequel, à l’aide
de quelques planches, ils avaient installé leur observatoire. Et certainement,
de loin personne ne pouvait l’apercevoir. En partant, ils ont tout
abattu : et c’est sur cet emplacement que les nôtres ont construits
l’espèce de tour carrée capable de servir d’observatoire.
Hier, je me suis rendu à Noyon ; et j’ai pu constater
que la ville avait été peu abîmée : seuls les boulevards extérieurs
présentaient des traces de bombardement, ainsi que quelques maisons près de
l’hôpital central. C’est une ville d’ailleurs assez agréable mais qui en ce
moment est trop remplie de service d’arrière.
Bien entendu, cette contrée ne vaut pas Laricharde. Ce n’est
pas la même chose. Certes les habitants sont très accueillants ce qui
d’ailleurs n’a rien d’étonnant après tout ce qu’ils ont souffert ; mais il
manque quelque chose. Là-bas, je me trouvais presque en famille, ici je suis un
soldat qui passe et à qui l’on fait bon accueil.
Je les regretterai pendant longtemps, les bonnes soirées de
Laricharde.
Je commence à m’habituer à mon nouveau genre de vie. J’ai
moins le cafard maintenant, mais les premiers jours c’était dur pour m’y faire.
D'ailleurs la philosophie est une excellente chose. Tôt ou tard, il eût fallu
m’arracher à ce séjour agréable, qui certes, quoique ne valant pas la vie
familiale était pour moi réconfortant. Et maintenant que c’est fait, n’y
songeons plus, qu’à titre de bon souvenir. Je m’y suis créé des amis, là-bas et
si par hasard j’avais l’occasion d’y repasser, nous pourrions ensemble parler
du temps où le soir, nous nous trouvions réunis à la prière et où j’employais
le reste de mon temps à arroser les fleurs et plantes potagères du boulanger.
Maintenant c’est la vie active qui reprend. Quand
finira-t-elle ? »
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