GUIVRY - EPHEMERIDE - 15 AOUT

Cela s'est passé à Guivry le 15 août 1917

Journal de guerre de Jean-François Semblanet (140°RI) :

« ...Jour de l’Assomption. Temps pourri. Nous avons quartier libre c'est-à-dire repos, nos cours étant terminés et les autres qui durent plus longtemps n’ont pas lieu aujourd’hui non plus. Toute la journée, le soleil s’est battu avec les nuages et il en est résulté des averses nombreuses ainsi que de chauds rayons entre temps. Demain 5 heures, nous regagnons le régiment…

Je garde de ce court séjour à Guivry un très bon souvenir. Guivry est charmant ; la maison où nous faisons popote est habitée par une famille honnête dont la mère, grande femme aux cheveux gris est serviable et courageuse malgré les malheurs à elle survenus car elle a été déportée par les Allemands et à son retour a trouvé sa maison dévalisée de fond en comble.

Notre popote est très bonne et a conservé le vieux renom de la popote de la 4^ème où on a toujours très bien mangé. Les jardins potagers militaires nous fournissent en abondance les légumes et les arbres fruitiers, qui cette année, ploient sous le poids de leurs branches, les fruits…

Notre chef popotier, mon ami Chavot, est poète et chaque jour, avant le repas, nous offre le menu rimé ou chanté. Je possède de lui ‘Sonnets rhodaniens » recueil de courts poèmes à la gloire du Rhône, œuvre primée en 1913 lors des fêtes consacrées au Rhône à Lyon…

Le menu rimé ou chanté, en voici des exemples :

La soupe est faite aux choux

Et le bœuf aux carottes

L’haricot au beurre frais vous flattera la glotte

Et la salade vinaigrée

Ne veut pas qu’on la laisse

Le dessert est sucré

Il chassera la graisse

Etant confituré.

(Air : Mireille. Grand air – Ange du Paradis)

La soupe est composée de légumes

Le gigot est à point fumé

Et les frites dorées vous régalent

Apaisant notre fringale

Ensuite nous avons pour dessert

Le courant, le coulant Camembert

Et pour bien digérer

Vous prendrez doucement

Dans le quart, bien peinard

Du moka de Madagascar.

(Air : La veuve joyeuse. Ah ! Les femmes.)

Cet après-midi, Guivry a presque un air de fête. Un concert vocal et instrumental s’est donné où les poilus s’entassaient et même les femmes de l’endroit ; une partie de football a été jouée. Sur la rue, devant l’église, retentissait la musique d’un piano automatique du café d’en face…

Je suis vers le soir retourné à l’observatoire ; vue merveilleuse de Saint-Quentin que les rayons de soleil doraient, aperçu aussi le château de Coucy ou plutôt son emplacement, Laon, Chauny, etc…

Les Boches avaient eu l’idée d’établir sur les grands chênes qui couronnaient autrefois ce lieu (La Tombe Reignier) un observatoire et ils ont dû les faire sauter. Ils gisent, en bas, le tronc en l’air, victimes de la guerre…

Demain matin, un renfort du D.D. (dépot divisionnaire) prélevé sur les cadres montera au régiment. C’est le vaste coup de balai. Pour remplacer, on appellera les cadres les plus anciens au régiment. Tous les deux mois on procédera ainsi et ce n’est que justice. La nouvelle attendue depuis longtemps n’a point causé d’émotion. Les récriminations individuelles n’ont point lieu comme dans d’autres cas où chacun se targuait d’être appelé avant son tour. Tout le monde appelé ou presque, point de jaloux… »