Cela s'est passé à Guivry le 13 MARS 1909
Journal Le réveil de l’Aisne du 17 mars 1909
« Pas loin d’ici. Un cochon pour une andouille.
La corrélation est évidente mais la proportion est
différente et cependant nous connaissons plus d’une ménagère qui ne se
plaindrait pas de l’aubaine quand elle va faire son achat chez le
charcutier !...
Mais ce préambule n’explique pas grand-chose et quelques
détails sont nécessaires pour la solution du rébus :
Samedi vers 9 h. du soir les habitants de… (Guivry)
éprouvèrent un moment de panique ; dans la rue et par le temps affreux
qu’il faisait, un être humain, probablement victime d’un apache ou d’un des
disciples d’Ali-Baba, criait de toutes ses forces : « A moi ! Au
secours ! »
De courageux citoyens émus par ces cris de détresse
quittèrent hâtivement le coin du feu et, en dépit du froid et du danger
auxquels ils s’exposaient, coururent du côté où partaient les appels.
La panique fut de courte durée car les premiers arrivés
partirent d’un bruyant éclat de rire. La « victime » gisait en effet
dans la neige mais elle n’avait subi d’autre attaque que celle de l’alcool qui
l’avait terrassée.
On reconnut aussitôt « Quiot P… » dit « Loin
du Ciel » à cause de sa taille au-dessous de la moyenne. Ivre comme
plusieurs Polonais « Loin du Ciel » était tombé dans un chemin creux,
la neige traîtresse lui avait fait perdre son équilibre déjà passablement
compromis et le pochard avait roulé sur le chemin ; incapable de se
relever, il s’était étendu sur le dos, flanqué de deux fromages qu’il était
allé chercher à Guivry et qui reposaient maintenant, mollement étendus dans la
neige.
Pour éviter une congestion au pochard, les personnes
présentes le relevèrent tant bien que mal et avec des efforts inouïs parvinrent
à le ramener chez lui où son père et sa femme éveillés en sursaut et
désagréablement surpris par ce retour peu triomphal, adressèrent au pauvre
« Loin du Ciel » une énergique et sévère admonestation.
Mais ce n’est pas tout ! En bonne épouse, la jeune
femme s’était levée et se disposait à déshabiller son mari pour le mettre au
lit quand une odeur sui generis fit
soupçonner à la ménagère que son époux s’était oublié… au point qu’on dut, à
l’aide d’un balai et d’un cuvier d’eau, réparer l’outrage fait à
l’indispensable vêtement, puis « désinfecter » le pochard en
conséquence ; ce qui attira cette remarque ironique de la part d’un
ami : « On sent bien que t’as bu, t’as mauvaise haleine ! »
Mme X…, jugea que la conduite de son époux méritait une
sanction, aussi reprenant le balai qu’elle venait d’employer à usage beaucoup
moins prosaïque, la ménagère en arma son bras vengeur et animée d’une juste
colère elle corrigea comme il convenait le pauvre diable confus et repentant.
Cette scène terminée, « Loin du Ciel » fut mis au
lit ; il s’endormit en murmurant des paroles de contrition et en rendant
grâce à ses concitoyens qui lui avaient évité une congestion peut-être
mortelle.
Quand il s’éveilla le lendemain, « Quiot P… »
essuya les reproches amères de sa femme et de son père et tout à coup ce
dernier coupant court à toute explication s’écria : « T’es un
soulot ! J’t’avais envoyé m’chercher une andouille à Guivry mais tu m’as
rapporté un fameux cochon ! »
« Loin du Ciel » baissa la tête : « C’est la fin de
l’orage pensa-t-il en jetant un regard timide derrière la porte où le balai
était remisé ; pourvu que ma femme ne ramène pas le tonnerre ! »